34.
L’Enlèvement
Le groupe de Falcon se rassembla, malgré l’absence de leur commandant gisant toujours sur le sol près des corps de Candiell et de Fallon. C’est à ce moment que les jeunes Chevaliers remarquèrent que Kevin manquait à l’appel. Ils fouillèrent toute la plage avec leurs sens magiques, espérant le retrouver blessé sous la carcasse d’un insecte, mais ne relevèrent aucune trace de lui. Chesley se précipita enfin vers leur grand chef et ses compagnons le suivirent.
— Nous ne trouvons pas Kevin ! s’effraya le jeune homme.
Wellan pivota vers l’océan. Il scruta lui-même le champ de bataille. Il ne ressentit pas non plus l’énergie de Kevin et craignit qu’il n’ait perdu la vie pendant l’affrontement. Il donna donc l’ordre à ses hommes de le chercher une fois de plus.
Tous s’élancèrent sans exception, remettant leur départ à plus tard, mais au bout d’une heure, ils durent en venir à la conclusion que le jeune guerrier avait disparu.
Debout au milieu des galets rendus visqueux par le sang noir de leurs ennemis, Wellan sentit une grande terreur s’emparer de lui. Farrell enjamba les cadavres pour se planter près de lui. Les yeux bleus du grand chef se remplirent de larmes et sa peine toucha profondément le renégat.
— Le sorcier a dû l’enlever, avança Farrell.
— Non ! hurla Wellan, furieux.
Son éclat se répercuta sur les remparts d’Argent. Tous ses soldats s’immobilisèrent en captant sa détresse. Trois embarcations avaient réussi à s’échapper : l’une d’elles emmenait leur frère d’armes. Wellan tendit les bras devant lui pour envoyer sur les flots toute la force d’attraction qu’il possédait. Il entra aussitôt en contact avec les vaisseaux ennemis. Utilisant toute sa concentration, il les tira à lui. Pendant un moment, il crut qu’il allait réussir, mais la sorcellerie d’Asbeth rompit brusquement le filet d’énergie qu’il tissait autour des bateaux. Le grand chef tomba à la renverse au milieu des cadavres d’insectes en poussant un rugissement de colère. Farrell lui saisit les bras et l’aida à se relever.
— Votre magie est plus puissante que la mienne, alors dites-moi si Kevin est encore vivant, le supplia Wellan.
— L’empereur n’aurait pas demandé qu’on lui ramène un soldat mort. Alors oui, je crois qu’il est sauf, mais je ne sais pas pour combien de temps encore.
— Le fils d’Hadrian a autrefois été secouru sur le continent de l’empereur, se rappela le grand chef. Je l’ai lu dans le journal d’un Chevalier d’Émeraude.
— Nous en reparlerons plus tard, rétorqua Farrell en devenant très sombre. Pour l’instant, il faut vous débarrasser de ces répugnantes créatures avant qu’elles sèment la maladie.
— Mais comment ? demanda Bailey en s’approchant. Ils sont sortis de leurs vaisseaux en flammes sans en être le moindrement incommodés !
— Ils ne brûlent que lorsqu’ils sont morts, le renseigna Farrell Il y a plusieurs façons de se débarrasser de ces animaux sans cervelle, mais le feu est la plus rapide.
Pour vérifier ses dires, Bailey projeta sur une carcasse un faisceau incendiaire. La carapace s’enflamma si rapidement que le jeune Chevalier dut reculer pour ne pas être blessé.
Retournez dans vos royaumes et détruisez les corps que vous y avez laissés, ordonna Wellan sur un ton glacial. Les vortex apparurent un à un sur les galets, engouffrant les différents groupes pendant que Chesley, Lornan, Davis, Dyksta, Prorok, Kruse, Salmo et Carlo enflammaient les cadavres sur la plage d’Argent où ils avaient été affectés. Puis, lorsque tous les insectes furent réduits en cendres, ils allèrent chercher les deux Écuyers de leur groupe ainsi que leurs chevaux, à l’abri derrière la muraille, afin de rentrer à Emeraude.
Au lieu de ramener son détachement au pays des Elfes, Wellan se dirigea plutôt vers les blessés que Santo soignait maintenant seul, puisque Chloé et Jasson étaient repartis avec leurs soldats. Il aperçut un large trou sur la cuirasse tachée de sang de Falcon et accéléra le pas.
Bouleversé, il se jeta à genoux près de son frère d’armes. Même s’il savait que Santo était le meilleur guérisseur de l’Ordre, il passa rapidement la main au-dessus de la poitrine de Falcon pour s’informer lui-même de la gravité de sa blessure.
— Je vais m’en sortir, murmura le Chevalier en ouvrant les yeux.
Wellan glissa le bras sous le dos de son compagnon. Avec douceur, il l’attira contre lui avant que Santo proteste contre cette marque d’affection qui risquait d’aggraver l’état de son patient. Les jeunes contemplèrent la scène émouvante en silence. Ils savaient que les sept Chevaliers aînés avaient grandi ensemble, comme de véritables frères. Il existait entre eux un lien très étroit.
— L’insecte qui t’a blessé est mort, chuchota Wellan.
— Ce n’était pas un insecte, c’était ton ami Asbeth, répliqua Falcon.
— Il paiera pour tout le mal qu’il nous a fait, je t’en fais la promesse, siffla le grand chef entre ses dents.
Santo dut décrocher Falcon des bras de leur grand chef en rappelant à Wellan qu’il devait se reposer.
— Tu as encore du travail à faire au pays des Elfes, ajouta le guérisseur. Nous allons ramener les blessés et les morts au château comme tu nous l’as demandé.
— Les morts…, répéta Wellan en pâlissant.
Il tourna la tête vers les corps de Candiell et de Fallon allongés côte à côte et marcha sur ses genoux jusqu’à eux. Il caressa leurs visages livides. Dans l’enfer des combats, il n’avait même pas ressenti leur départ pour les grandes plaines de lumière.
— Nous t’attendrons à Emeraude avant de libérer leurs âmes, lui promit Gabrelle en posant une main rassurante sur l’épaule de son chef.
Wellan hocha faiblement la tête. Sans chercher à cacher sa peine, il se leva. Bridgess l’attendait avec leurs jeunes soldats, l’air aussi triste que lui.
Le grand chef chercha Farrell des yeux pour le remercier de son aide précieuse dans cette bataille, mais ne le vit nulle part. Il avait donc décidé de rentrer à la maison avant sa femme.